— Par Jean-Emmanuel Denave*
Cet extrait d’article est originellement paru dans Le Petit Bulletin de Lyon (novembre 2021).
Une vie chorégraphique organique
À cinquante et un ans, Yuval Pick a déjà derrière lui une belle carrière de danseur (avec Ohad Naharin, Tero Saarinen, Russel Maliphant…) et quelque vingt pièces à son actif. Il a succédé, en 2011, à Maguy Marin à la direction du CCN de Rillieux-la-Pape, et a pris à bras le corps son engagement dansé dans cette ville complexe. À bras le corps, c’est le cas de le dire pour cet artiste qui, que ce soit dans ses créations ou ses fonctions au CCNR, fonde l’essentiel de sa pratique sur le corps. Un corps vivant, organique, assujetti à la pesanteur, grevé d’Histoire et de mémoire, qui est une part essentielle de l’identité de chacun. Le lien avec l’autre, comme le rapport à soi, passeraient selon Yuval Pick par le corps et ses affects, avant les mots et les récits, ou du moins de manière aussi importante. On dirait du Spinoza dans le texte, mais Yuval Pick est toujours rétif aux références trop appuyées, ou aux étiquettes trop enfermantes. De pièce en pièce, d’expérience en expérience, il trace son chemin sans trop s’embarrasser de théories ni de modèles ou de contre-modèles, tout en prenant le temps, après coup, de la pensée et du retour réflexif sur sa pratique.
Practice
Que ce soit pour ses propres créations ou pour sa transmission de la danse, Yuval Pick a peu à peu élaboré une méthode et une philosophie de la danse dénommée Practice. Qui propose à chaque danseur (amateur ou professionnel) une écoute et une attention singulières de son corps, corps entendu comme un ensemble fait de masses, de muscles, de strates organiques, de chair sensitive… Plutôt que de chercher la belle forme et d’échapper à la pesanteur (image d’Épinal de la danse), le mouvement se crée à partir de la subjectivité intime et organique du danseur. On ne s’oublie pas par la danse, mais on s’y déploie, on s’y révèle, on s’y réinvente. D’où, parfois, pour les spectateurs des pièces de Yuval Pick une gestuelle troublante et inhabituelle. Mais c’est une écriture fondée sur une recherche de longue haleine, sincère, persévérante : une quête à même les corps de notre potentiel créatif individuel et collectif.
JED — Pour refaire société, il faut pratiquer. Vous insistez sur la notion de pratique, avec votre méthode Practice par exemple…
Yuval Pick — Pour refaire société, il faut pratiquer, et chaque pratique du corps est la bienvenue (le yoga, les arts martiaux…), toutes les connexions corps-esprits. Il s’agit là de renforcer l’humain, d’enrichir l’humain. On ne peut pas, pour cela, compter seulement sur les interfaces numériques. La pratique physique sculpte notre expressivité dans le lien avec l’autre.
*Jean-Emmanuel Denave est journaliste et critique danse.