Practice, un objet de recherche

— Par Rafael Molina*

Je travaille actuellement avec Yuval Pick sur un projet de recherche autour de Practice, visant à mieux identifier la méthode, à la documenter et à accompagner sa formalisation. Nous sollicitions l’Aide à la recherche et au patrimoine en danse du Centre national de la danse et posons également notre candidature au programme de résidences de l’ambassade de France aux États-Unis, la Villa Albertine.

Si Practice a été transmise dans des formations ou compagnies en France et à l’étranger, la méthode est avant tout la pratique quotidienne des danseurs du Centre Chorégraphique National de Rillieux-la-Pape (CCNR). C’est ici, depuis 2011, qu’elle se cherche, se développe et se formalise, dans un dialogue constant entre le chorégraphe et les danseurs qui l’expérimentent en studio et sur scène.

Une méthode chorégraphique post-70

Le développement d’une nouvelle méthode de formation et d’entraînement des danseurs fait figure, dans le paysage chorégraphique récent, d’exception. Avant les années 70, comme l’explique l’historienne Laurence Louppe, le « chorégraphe, danseur et penseur, invente non seulement une esthétique spectaculaire, mais un corps, une pratique, une théorie, un langage moteur ». Depuis, les propositions chorégraphiques foisonnent mais se limitent le plus souvent « à la mise au point d’une formule spectaculaire sans passer par la réinvention d’un langage et de l’outillage permettant son élaboration ».[1]

Ce divorce, en tout cas cette absence de continuité, entre la création artistique destinée à la scène et la formation continue des danseurs a laissé un vide pour toute une génération, faisant courir le risque d’un appauvrissement et d’une homogénéisation de la pédagogie. S’il existe des raisons historiques légitimes à la mise à l’écart des « écoles » de danse, des « traditions » qui ont pu se concentrer sur l’acquisition d’un vocabulaire et la spécificité d’une approche plus que sur la disponibilité des corps et leur ouverture, Practice aurait, selon nous, le potentiel de réconcilier les deux.

À partir de ces constats, un enjeu clair se dessine : Comment et pourquoi émerge, puis se développe une nouvelle méthode, comme Practice, au XXIe siècle ? Que revendique-t-elle dans la construction d’un danseur professionnel en devenir ?

La méthologie d’un nouvel objet de recherche

La recherche s’attache, dans un premier temps, à ressaisir le travail pédagogique de Yuval Pick dans un contexte plus large. Ce contexte est à la fois un contexte personnel (son parcours, ses filiations, ses attaches, sa pensée de la danse, ses processus de création) et un contexte socio-politique (milieu chorégraphique, mouvement culturel, paysage institutionnel, ancrage local et cahier des charges des institutions).

Le travail de recherche vise, dans un second temps, à qualifier la démarche et définir la méthode. Quelle est sa spécificité et sa transversalité ? Quels en sont les contours et les principes de danse sous-jacents ? Quelle logique de construction du corps est à l’œuvre ? Rentre-t-on en concurrence-contradiction avec d’autres logiques de construction ? Construit-on par-dessus ou en complément des autres méthodes éprouvées au préalable ?

Dans un dernier temps, la recherche se penche sur le processus, en cours, de formalisation de cette méthode. Ce processus apparaît nécessaire à sa stabilisation, son ancrage et son déploiement plus large, lui garantissant ainsi une postérité. En formant une première génération de pédagogues, se pose de manière concrète la question de la possibilité d’une transmission de Practice au-delà du créateur et au-delà de l’espace-temps initial.

Tout au long de la recherche, des entretiens réguliers avec Yuval Pick et les danseurs seront susceptibles de faire émerger une parole singulière et d’apporter un éclairage approfondi sur la méthode et sa formalisation. Notre étude empirique s’intéressera tout particulièrement à la porosité entre Danser, Créer et Transmettre dans l’expérimentation et l’innovation pédagogiques. Nous espérons ainsi contribuer à la régénération de la pédagogie en danse autant que pouvoir enrichir la méthode elle-même.

Il nous a semblé pertinent d’avoir un échantillon représentatif de contextes de transmission. Outre la compagnie du CCNR, ce sont les danseurs de cinq institutions partenaires à qui Yuval Pick transmettra Practice, et la pièce du répertoire Pazaz (2020), née directement de la méthode.

Des liens, de Lyon à New York City

Nous avons choisi des partenaires en Europe avec lesquels Yuval Pick a déjà collaboré : le Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Lyon, The Place à Londres et la Royal Swedish School à Stockholm. Nous avons toutefois désiré confronter la matière à un autre territoire, unique pour l’histoire de la danse moderne : New York. En effet, la ville a été le berceau de principes approches novatrices et techniques de danse au XXe siècle : Graham, Humphrey-Limón, Nikolai-Louis, Horton, Dunham, Cunningham, Taylor, Hawkins et Contact Improvisation.

Or il existe similitudes entre les principes fondamentaux de Practice et la danse moderne américaine, en particulier celle de Martha Graham. Practice peut être vue comme une continuité de la danse moderne, autant qu’une méthode contemporaine répondant aux besoins actuels et dont les innovations uniques sont spécifiques à son contexte d’émergence : Israël avec la formation initiale et le début de carrière de Yuval Pick, puis la France où il travaille comme chorégraphe depuis 20 ans. 

Aux États-Unis, nous souhaitons ouvrir un dialogue avec ses héritages historiques lors d’une transmission auprès de nos deux partenaires new yorkais : l’école Martha Graham et Purchase College.


[1] in LOUPPE, Laurence, Poétique de la danse contemporaine, 2e édition complétée, Bruxelles : Contredanse, 2002, p.38

*Rafael Molina est artiste interprète, pédagogue et chercheur. Diplômé d’un master de recherche de Sciences Po Paris et de la Martha Graham School à New York, il a fondé en 2017 Graham For Europe, une organisation qui promeut et démocratise l’enseignement du travail de Graham sur le continent européen. Depuis 2019, il mène également une recherche sur les pratiques pédagogiques grahamiennes qui a été soutenue par le Centre national de la danse.